










LES BELLES HISTOIRES DE TONTON PICKING
Martin D-18 de 1958 (pas géniale mais fiable)
J'arrivais à la gare de Frankfort vers quinze heures . Nous étions en 1974 . En ce début de décembre , il faisait un froid vif qui pinçait les oreilles . Je devais assurer deux premières parties pour un guitariste d'un certain renom internationnal . Spectacles organisés par un comité d'étudiants .
Gisela m'emmena donc au Campus Universitaire . Je prenais possession de la petite chambre réservée aux intervenants extérieurs (musicos , écrivains , conférenciers , etc ...) .
Ensuite , comme j'avais « libre » jusqu'à vingt et une heure , pour le levé de rideau , je demandais à Gisela de m'emmener au centre-ville pour y découvrir les magasins de musiques . Il y avait un « Super-Marché » de la musique vraiment incroyable . Je découvrais là , les premières cordes « DARCO » de chez Martin . Rez-de-chaussée consacré aux pianos , claviers divers , orgues . Le premier étage réservé aux drums , tambours et autre matériel de percussion .
Le deuxième étage réservé aux cuivres et aux guitares acoustics . La caverne d'Ali Baba . Et , vu les prix , c'était plutôt Ali-voleur et les quarantes Babas ...
J'ai essayé quelques magnifiques petites choses que je n'avais jamais vu en France , ni à Londres . Les modèles 000 , 00 de chez Martin . Mais , à l'époque , les modèles étaient d'une sobriété moniale . Et la mode était aux modèles "Dreadnought" . Point de nacre , d'abalone . Ces modèles Vintages , re-fabriqués sur demandes , qui nous font saliver aujourd'hui , ne virent le jour que dix ans plus tard .
Le clinquant des Gibson ...
La sobriété des Guild ...
Les belles D41 et les D45 "standards" ...
Vers dix neuf heures , Gisela revint me chercher pour me ramener sur le Campus . Il y avait le repas du soir . J'en profite pour signaler aux éventuels musiciens qui partiraient jouer en Allemagne , qu'il faut emmener des « truc » à bouffer . Parce que la bouffe Allemande nécessite quelques semaines d'adaptation . Bon , les patates cuites vapeur , les saucisses fûmées , la vinaigrette accompanés de crème fraîche , c'est pas réellement mauvais . Mais , c'est presque pareil au petit-déjeuner . J'éxagère ...
Vers 20h30 je faisais ma « balance » . Tout était parfait . Je jouais sur ma Martin D18 , pas vraiment faite pour le Finger-Picking . Mais je savais en tirer le meilleur .
Arriva le fameux guitariste . Pas un bonjour , pas un sourire . Rien . Je me retirais , laissant la place pour les essais de sono . Je m'installais derrière le rideau pour voir et écouter . Le type était carrément odieux avec les gens de l'organisation . C'est tout juste s'il levait les yeux sur la personne à qui il parlait .
Il en va dans ce milieu comme dans tous les autres . Il y a des gens sympathiques , il y a des gens qui le sont moins . Celui-là était le parfait exemple du cuistre . Le type que l'on aimerait baffer ...
Le type qui se prenait pour ce qu'il ne sera jamais ...
La personne qui semblait l'accompagner et s'occuper de lui (road-manager) , n'était pas beaucoup plus agréable . Lorsque je lui demandais combien de temps il désirait que dure ma prestation , il me répondait à tous propos , en Français , avec un accent américain à couper au couteau : < TOU RIGOOLE !>
Plein de mépris et de suffisance , les deux compères , dès les cinq minutes de réglages terminés , partirent manger en ville .
A vingt et une heure tapante , devant environ trois cent étudiants , sagement assis , je commençais ma prestation . Ma Martin D18 sonnait superbement dans les enceintes . Les deux gars de la sono faisaient des miracles . Ce fût un plaisir .
Vers Vingt et une heure quarante cinq , Gisela , des coulisses , me fit signe . Je jouais donc mon dernier morceau .
Je retournais derrière le rideau afin de m'entretenir avec les organisateurs . Dix minutes après arriva « LE » guitariste et son road-manager . Pas un mot , regardant tout le monde de haut .
Le guitariste , armé d'une Martin , (vieille) , dont je ne pouvais définir le modèle , passa devant nous , nous bousculant presque . Il sinstalla sur le tabouret où j'étais installé quelques minutes avant lui . Il parla au moins cinq minutes . Puis se mit à jouer son premier Ragtime , puisque c'était sa spécialité . Une pièce de deux minutes trente . Puis , il se remit à raconter des anecdotes pendant dix minutes . Depuis toutes ces années , j'ai remarqué que c'était « Le truc » des Américains pour jouer le moins possible . Causer dix minutes entre chaque pièce de trois minutes ...
Soudain , au troisième morceau , un violent « clac » fit comprendre à toute l'assistance qu'une corde de sa guitare venait de casser . Le SOL !
Son road-manager , affolé , se mit à courir dans tous les sens . Il vient vers moi et me dit :< Passe ta guitare pendant que je change la corde ! > Sans même demander <s'il te plaît> . Je le regardait droit dans les yeux et après quelques secondes de silence , je lui répondais : < TOU RIGOOLE !>
Il y avait des envies de meurtres dans son regard de bouseux ricain ...
Ah ! Il était beau le fils spirituel du Révérend Gary Davis , avec sa corde cassée , entrain de meubler en racontant des trucs dont tout le monde se fichait . Roulant des yeux affolés en direction du rideau , derrière lui ...
Finalement son « larbin » est venu récupérer la guitare pour changer la corde ! Un tel professionnel qui n'avait même pas une seconde guitare ! C'était à s'écrouler de rire ...
La guitare est revenue cinq minutes plus tard et le pantin a pû reprendre son numéro . Inutile de dire que les gens présents dans la salle s'étaient rendu compte du malaise .
Ni ce soir-là , ni le suivant , le succès ne fût vraiment au rendez-vous ...
Le lendemain soir . Ce fût a peu près le même numéro mais sans cordes cassées . Même mépris , même arnaque musicale . Même tête de noeud , même tronche de gland ...










