LE MONDE
Le mystère, un des plus épais de l'histoire de la musique, tenait depuis trois siècles. Depuis la mort, en 1737, à 93 ans, d'Antonio Stradivari, des générations de luthiers, de musiciens, d'acousticiens et de chimistes avaient tenté de percer le secret du maître. Le bois, la colle, l'assemblage des matériaux, leur traitement : la composition des fameux violons avait été passée à la loupe, ou plutôt à tout ce que la palette scientifique proposait d'optiques surpuissantes. Un élément résistait toutefois à l'analyse, celui-là même dont le maître de Crémone avait toujours refusé de révéler la formule : le vernis.
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Les secrets du vernis du violon Stradivarius a été révélé grâce à des analyses poussées dans plusieurs centres de recherche européens.
C'est aujourd'hui chose faite. Après quatre années de recherche, on connaît désormais la structure exacte du mystérieux revêtement. Une équipe d'une quinzaine d'intervenants issus de sept laboratoires français et allemands, coordonnée par Jean-Philippe Echard, chimiste au laboratoire de recherche et de restauration du Musée de la musique, à Paris, doit en faire l'annonce, vendredi 4 décembre. Une publication a été mise en ligne sur le site de la Angewandte Chemie International Edition, la plus importante revue de chimie au monde. Une version papier devrait suivre en janvier, accompagnée d'un article dans la revue Nature. Autant dire que ces conclusions devraient dépasser le cercle des mélomanes.
L'œuvre d'Antonio Stradivari tient de la légende. De son vivant déjà, les cours européennes s'arrachaient ses réalisations. Rescapé d'une épidémie de peste qui décima les luthiers de la plaine du Pô (nord de l'Italie), il régnait sur la profession. Harpes, cistres, violes, altos, violoncelles, basses, et bien sûr violons : 1 100 instruments quittèrent son atelier au cours de ses soixante-dix ans d'activité. Il en resterait aujourd'hui environ 650.
Entre-temps, le stradivarius s'est imposé comme une référence. Dans les salles de concert, où les virtuoses qui le pouvaient l'ont adopté presque unanimement. Chez les collectionneurs, les prix atteignent plusieurs millions d'euros. Mais aussi chez les luthiers et les scientifiques qui ont tenté de percer le "secret" de Stradivari. L'essence des arbres (des épicéas pour la table, des érables pour le fond) ? La période de coupe (traditionnellement une nuit d'hiver par lune descendante) ? Les plans exacts de ses instruments étaient connus. Pour le reste, on se perdait en conjectures. En 1830, le physicien Félix Savart obtient du grand luthier français Vuillaume le droit de désosser deux stradivarius. Sans résultat. Par la suite, on évoqua le traitement subi par le bois: densifié par une vague de froid, selon les uns, dopé par un parasite, selon les autres, bonifié par un passage dans la lagune vénitienne pour les troisièmes; on copia la perfection et l'équilibre de son dessin, qui fixa l'instrument dans sa forme définitive. Et l'on se pencha sur le fameux vernis.
AH, LE VERNIS !
"Pendant deux cent cinquante ans, on a tout entendu, sourit Jean-Philippe Echard, tout imaginé. En termes de sonorité, comme de couleur. On a dit que Stradivari ajoutait au liant de l'ambre fossile de la propolis, cette gomme rougeâtre que les abeilles recueillent sur certains bourgeons, ou encore de la coquille de crustacés…" Depuis la seconde guerre mondiale, une quinzaine d'articles scientifiques ont été publiés sur le sujet. Les réponses demeuraient toutefois partielles. L'échantillon – un ou deux instruments – restait insuffisant. Réalisés par les seuls chimistes, les travaux ne permettaient pas de s'assurer que la partie analysée était bien d'origine.
L'équipe du Musée de la musique a employé les grands moyens. Elle a intégré à son étude un luthier, Balthazar Soulier, qui avait déjà observé plus d'une soixantaine de stradivarius. Surtout, elle a assis sa recherche sur cinq instruments conservés dans la collection de l'établissement de la porte de La Villette. Quatre violons et une tête de viole d'amour – un instrument à douze cordes tombé en désuétude au XIXesiècle – réalisés entre1692 et 1724, autrement dit au cours d'une très large période. Sur chacun d'entre eux, ils ont prélevé une parcelle de vernis de la taille d'un grain de semoule. Et ils ont commencé l'expérience, ou plutôt les expériences.
D'abord ils ont passé les particules au microscope à ultraviolets. Ils ont ainsi pu déterminer que les échantillons étaient composés de deux couches avec, dans la seconde, des grains de pigments. "Mais nous ignorions encore comment étaient composées ces couches", raconte Jean-Philippe Echard.
Les échantillons ont alors pris le chemin de Saclay, dans l'Essonne, pour être analysés en lumière infrarouge dans le synchrotron Soleil. Cet immense accélérateur d'électrons permet de disposer d'une source suffisamment intense pour dresser la cartographie chimique d'un matériau. Et c'est là que l'information essentielle est tombée: le maître utilisait un simple vernis à l'huile. Pas de sous-couche dopée aux extraits de peau, d'os, ou d'esturgeon, comme le voulaient certaines légendes. "Il n'était pas non plus allé traire les abeilles de Hongrie orientale une nuit de pleine lune", s'amuse Jean-Philippe Echard. Non: pour sa base, le maître utilisait une simple huile siccative, à la façon des peintres ou des ébénistes.
Cette conclusion a été affinée au laboratoire du Museum d'histoire naturelle, à Paris. En couplant deux techniques – la chromatographie en phase gazeuse et la spectrométrie de masse – les scientifiques ont pu préciser la composition de chacune des deux couches. Dans la première, ils n'ont trouvé que de l'huile de peintre. Dans la seconde, un mélange composé de cette même huile et de résine de pin.
Restait à déterminer le contenu des grains de pigment. Cette fois, c'est au Laboratoire de dynamique, interactions et réactivité (Ladir), à Thiais (CNRS, Paris-VI) et à Dortmund, en Allemagne, que le dernier élément du rébus a été déchiffré. Et là, nouvelle surprise! Le génial Antonio n'avait pas inclus dans son vernis du rouge, mais des rouges, passant, au cours de sa vie, d'un coloris nourri d'oxyde de fer à un vermillon au sulfate de mercure pour finir avec un pigment laqué à base de cochenille. "Avec le vernis, l'intentionnalité de Stradivari n'était pas acoustique, mais visuelle", conclut Jean-Philippe Echard.
De quoi détruire le mythe ? Pas sûr. "Le luthier reste fasciné par la perfection du travail, la méthode extraordinairement aboutie", assure Balthazar Soulier. Le public écarquillera toujours les yeux devant le prix astronomique des instruments. Les meilleurs solistes, gorgés de confiance, continueront à le faire sonner comme aucun autre. Quant aux fêlés des quatre cordes, artistes ou scientifiques, ils poursuivront leur recherche éperdue du secret du vieux maître de Crémone.
Nathaniel Herzberg
Un article du monde sur les Stradivarius
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Merci Kobaiaah, c'est vraiment passionnant !
il devait être abondamment entouré d'apprentis, pour fabriquer
autant d'instruments, même pour les meilleurs artisans d'art,
les journées n'ont que 24 heures...
Les secrets sont partis avec lui, le mystère de ses instruments,
c'était peut-être l'espace de son imaginaire, un artiste peintre qui s'ignorait
Nous reste juste pour quelques décennies à peine, d'éphémères couleurs
de son, et timbres enivrants !
il devait être abondamment entouré d'apprentis, pour fabriquer
autant d'instruments, même pour les meilleurs artisans d'art,
les journées n'ont que 24 heures...
Les secrets sont partis avec lui, le mystère de ses instruments,
c'était peut-être l'espace de son imaginaire, un artiste peintre qui s'ignorait

Nous reste juste pour quelques décennies à peine, d'éphémères couleurs
de son, et timbres enivrants !
As-tu lu le roman de Diwo sur Stradivari ? Même si c'est pas mal romancé et donc imaginaire, il y a quand même pas mal de références historiques et on y apprend comment il travaillait ET comment il était entouré. Ce que l'on est sûr, c'est qu'il a eu une longévité exceptionnelle pour cette époque propice à produire beaucoup d'instruments. Bon après, je n'y connais rien en violonsSylvie a écrit :Merci Kobaiaah, c'est vraiment passionnant !
il devait être abondamment entouré d'apprentis, pour fabriquer
autant d'instruments, même pour les meilleurs artisans d'art,
les journées n'ont que 24 heures...
Les secrets sont partis avec lui, le mystère de ses instruments,
c'était peut-être l'espace de son imaginaire, un artiste peintre qui s'ignorait![]()
Nous reste juste pour quelques décennies à peine, d'éphémères couleurs
de son, et timbres enivrants !


Bonsoir Lukou
non, je connais pas ce roman, voilà une bonne idée de cadeau
pour la liste du Père Noël !
En effet, pour l'époque, il devait être de bonne constitution pour vivre aussi longtemps
http://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Stradivari
Pour le moment je n'y connais pas grand chose
déjà bien du mal à changer correctement une corde sur mon alto !
Mais c'est tout plaisir de découvrir !
Merci
non, je connais pas ce roman, voilà une bonne idée de cadeau
pour la liste du Père Noël !
En effet, pour l'époque, il devait être de bonne constitution pour vivre aussi longtemps
http://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Stradivari
Pour le moment je n'y connais pas grand chose

déjà bien du mal à changer correctement une corde sur mon alto !
Mais c'est tout plaisir de découvrir !
Merci

Comme déjà dit : passionnant article!!!
Au lendemain de cette publication, on entendait déjà quelques experts mettrent le doigt sur un point d'interrogation : quelques traitements (anti-fongique ou autre ) étaient utilisés??? Les analyses chimiques n'ont toujours pas permis (à ma modeste connaissance) de décrire le traitement appliqué au bois et à quel moment il l'était... et je pense intimement que c'est là que se cache le "Secret" du son Stradivarius...
Ayant une formation en chimie, c'est un truc qui risque d'animer mes nuits quelques décennies...
D'ailleurs, qui traient les bois de ses instruments aujourd'hui???
Au lendemain de cette publication, on entendait déjà quelques experts mettrent le doigt sur un point d'interrogation : quelques traitements (anti-fongique ou autre ) étaient utilisés??? Les analyses chimiques n'ont toujours pas permis (à ma modeste connaissance) de décrire le traitement appliqué au bois et à quel moment il l'était... et je pense intimement que c'est là que se cache le "Secret" du son Stradivarius...
Ayant une formation en chimie, c'est un truc qui risque d'animer mes nuits quelques décennies...
D'ailleurs, qui traient les bois de ses instruments aujourd'hui???
La vie est ce qu'on en fait...